Mi-mai 2016. Il reste encore beaucoup à faire pour expliquer les
conséquences concrètes - d'affaiblissement de l'enseignement secondaire
public - qui découlent d'une soi-disant réforme du collège qui est en
réalité, derrière un vernis apparent de rénovation pédagogique (un
habillage néanmoins désorganisateur [1]), profondément inscrite dans une
logique néo-libérale : la recherche d'économies de moyens, et la mise des établissements en concurrence par le biais d'une autonomie accrue sont désormais patents.
Si l'on en consulte la définition courante proposée par le Larousse la notion de réforme suppose un progrès: "Changement de caractère profond, radical apporté à quelque chose, en
particulier à une institution, et visant à améliorer son
fonctionnement : Réforme de l'enseignement." Or, c'est à partir de cette définition qu'il est permis de s'interroger : sauf à en être complexifié, en quoi le fonctionnement du collège serait globalement "amélioré" par les changements imposés ?
A regarder sous cet angle, il s'agit certainement plus d'une contre-réforme, aux dépens des enfants des milieux populaires et modestes qui seront les premiers à en payer le prix en terme de restriction d'offre éducative, de perte en temps d'enseignement et en possibilités de remédiation aux difficultés scolaires. Le journal Le Monde dressait ainsi, dans un article daté du 8 février 2016 ("Réforme du collège : la bataille des moyens est lancée"), ce simple constat "L’année prochaine, toutes les classes auront vingt-six heures de cours par semaine (hors option). C’est plus qu’en 5e aujourd’hui (+1 heure), mais c’est moins qu’en 6e (-1 heure), 4e (-2 heures) et en 3e (-2h30). Au final, si l’on compare les grilles horaires réglementaires avant et après la réforme, on peut considérer que les élèves vont perdre 162 heures sur l’ensemble de leur scolarité au collège (soit un peu plus de six semaines de classe). La perte sera encore plus importante pour les élèves qui suivent des options."
A regarder sous cet angle, il s'agit certainement plus d'une contre-réforme, aux dépens des enfants des milieux populaires et modestes qui seront les premiers à en payer le prix en terme de restriction d'offre éducative, de perte en temps d'enseignement et en possibilités de remédiation aux difficultés scolaires. Le journal Le Monde dressait ainsi, dans un article daté du 8 février 2016 ("Réforme du collège : la bataille des moyens est lancée"), ce simple constat "L’année prochaine, toutes les classes auront vingt-six heures de cours par semaine (hors option). C’est plus qu’en 5e aujourd’hui (+1 heure), mais c’est moins qu’en 6e (-1 heure), 4e (-2 heures) et en 3e (-2h30). Au final, si l’on compare les grilles horaires réglementaires avant et après la réforme, on peut considérer que les élèves vont perdre 162 heures sur l’ensemble de leur scolarité au collège (soit un peu plus de six semaines de classe). La perte sera encore plus importante pour les élèves qui suivent des options."
Aussi, la contre-réforme du collège n'est pas seulement sans les moyens nécessaires pour l'appliquer - même dans l'optique de ceux qui l'ont conçue -, mais elle induit bien une évolution vers moins de moyens ! Cette perception est largement partagée, comme le montre un article de La Dépêche du 16 mai, intitulé "Collèges: une réforme qui fâche", et qui donne des aperçus de la réception de la réforme dans l'Académie de Toulouse du point de vue enseignant. Au stade de l'année scolaire où nous sommes, cette perception repose sur des constats objectifs puisque les dotations horaires et structures pour l'année à venir ont été présentées dans les Conseils d'Administration, et que les formations liées à la réforme se sont largement tenues (quoique certaines soient repoussées à la rentrée de septembre 2016). En outre, si la perspective d'une année 2017 comportant des élections majeures a sans doute joué dans le sens d'une préservation au moins temporaire de moyens humains, qu'en sera-t-il après ?
Du côté des représentants de parents, la prise de conscience des réalités liées à la "réforme" a vraiment progressé, face à
l'évidence des faits : plus d’un tiers des délégués au 70e Congrès national
de la FCPE (Marseille, 14 au 16 mai 2016) se sont positionnés pour une suspension de la réforme, et in
fine une motion majoritaire critique cette réforme. Le constat est ainsi posé que la
réforme n'est pas acceptable telle qu'elle est conduite et dans un
certain nombre de ses conséquences, dont la mise en concurrence des
établissements, le manque de moyens, les inégalités accrues entre élèves [2].
L'urgence est, en effet, de penser sérieusement aux élèves: les conditions d'accueil proposées à la rentrée de septembre 2016 seront à l'évidence dégradées; sans parler de la difficulté pour les enseignants d'être en simple situation de maîtrise de l'ensemble des données d'un système réformé imposé avec une rapidité déboussolante, faire face aux heures de permanence nouvelles qui seront induites pour les élèves sera sans doute un défi pour les personnels de Vie scolaire !
Aussi, la question d'actualité est sans doute celle-ci : comment s'organise-t-on, parents, enseignants, membres et acteurs de la communauté éducative, comment agit-on assez puissamment pour obtenir les moyens et les réorientations indispensables ? Il ne reste qu'un peu plus de 3 mois : c'est court !
Pour la suite, il faudra un autre projet. En 2012, j'écrivais déjà, dans une contribution pour la commission éducation du MRC intitulée "Le collège unique : éléments de réflexion" (texte extrêmement synthétique d'un travail de recherche en réalité beaucoup plus large) qu'il était nécessaire de "proposer une rénovation et une relance ambitieuses du collège unique [pour faire] du collège un maillon fiable et fort du système éducatif, [rénovation et relance] qui conservent l’objectif d’une démocratisation élevant le niveau général d’instruction tout en mettant en place l’organisation, les dispositifs, les moyens propres à atteindre cet objectif." Michel Sorin avait placé sur son bloc-notes en ligne une version préparatoire que je lui avais transmise (article-le-college-mis-en-cause-par-les-liberaux-reflexions-de-serge-maupouet) et qui exprimait plus complètement les "manières de voir les évolutions" que je souhaitais alors mettre en débat, au vu du contexte de rédaction (2011). Il faut confronter ces "manières de voir" alors proposées avec les options idéologiques qui sous-tendent la contre-réforme actuelle : n'est-ce pas clairement l'école libérale qui est actuellement en construction au niveau du collège ? Par conséquent, je replace ici ce passage de la version préparatoire qui ne se trouve pas dans la version synthétique, mais qui me paraît toujours utile aux échanges et à la prospective d'ensemble, sous réserve des actualisations nécessaires en des points particuliers (presque 5 années s'étant écoulées, voir certaines précisions en notes) :
"Le collège
est aujourd'hui une étape incontournable dans un parcours.
Toutefois, alors qu'il a été confronté à une forte
croissance de ses effectifs,
qu'il accueille désormais tous les jeunes et par conséquent des
publics très diversifiés, les réductions de dispositifs et de
moyens imposées dans une logique libérale l'ont considérablement
simplifié, unicisé.
Le
collège unique – héritier
du projet progressiste d'Ecole unique de l'Entre deux Guerres –,
dont la mise en place a marqué un moment majeur dans la
concrétisation de la démocratisation du système scolaire, reste
l'institution pivot de la grande réforme structurelle du système
éducatif.
Toutefois,
il n'a sans doute jamais véritablement disposé des moyens
nécessaires au traitement efficace de la difficulté scolaire : des
dispositifs adéquats ont pourtant été pensés dès l'origine, mais
sans forcément être mis en œuvre. Or, aujourd'hui, cette question
centrale de la prise en compte efficace de la difficulté scolaire
n'est plus traitée que par des emplâtres ou des dispositifs alibis
reportant systématiquement la responsabilité d'un échec scolaire
sur les jeunes ou les familles.
Les
orientations actuelles [il s'agit de celles constatées en 2011] conduisent peu ou prou à sortir dès 14 ans
des jeunes en difficulté scolaire du système pour les mener vers
l'apprentissage,
alors même qu'il faut au contraire permettre à l'ensemble d'une
classe d'âge d'arriver au niveau de la Troisième et du brevet ; cet
objectif impose de remettre en place des parcours possibles plus
variés et donc plus adaptés à la diversité des aptitudes mais
menant à la Troisième et au brevet [3] [4].
Parler
d'aptitudes, c'est faire référence à une école tournée vers le
progrès, renouer avec l'esprit du plan Langevin-Wallon
; c'est
aussi volontairement ne pas parler des compétences qui renvoient
clairement au monde de l'entreprise, et ce afin de se démarquer de
l'école libérale et de son alter
ego
la formation tout au long de la vie [5] ; c'est aussi ne pas évoquer la
fausse question des goûts des élèves, car on sait très bien le
poids des héritages familiaux et sociaux en ce domaine. C'est aussi
prendre une autre voie que celle de la facilité et de la démagogie,
voie qui consisterait à ne considérer le collège que comme un lieu
de vie, où l'activité promue fin en soi et la sociabilisation
prendraient le pas sur la connaissance.
Sur
ce point, il serait utile de parvenir au dépassement
de l'épuisante, clivante et réductrice querelle
pédagogistes/républicains (réductrice car elle
occulte le troisième intervenant, le libéralisme), de manière à
mieux affronter le risque primordial : celui du collège néo-libéral."
Pour contrer ce collège néo-libéral qui se construit maintenant sous nos yeux, pour mettre en place une rénovation et une relance ambitieuses, il faudra véritablement manifester la volonté de continuer à combattre les déterminismes sociaux, de refuser les conservatismes c'est-à-dire tout retour en arrière vers une orientation précoce, un tri social déguisé, et mettre pleinement les moyens humains et financiers pour porter à son terme la « Troisième révolution scolaire », en renouant avec la marche vers une véritable élévation générale du niveau de formation initiale, au bénéfice de tous. C'est possible, mais cela implique des choix à mettre clairement et largement en débat dès maintenant, dans la perspective de 2017.
[1] des personnels de direction font état dans cet article du Télégramme du 8 mai 2016 de leurs difficultés actuelles, et on pourrait évoquer d'autres facteurs comme l'impact, d'une année sur l'autre, des modifications liées à la variable d'ajustement que seraient les EPI (Enseignements pratiques interdisciplinaires), etc.
[2] voyez par ce lien un article en ligne afférent sur francesoir.fr ; sur le site de L'Humanité, on trouve les motions adoptées lors de ce Congrès de la FCPE, à la suite d'un article qui décrit un certain nombre de débats internes : http://www.humanite.fr/lopposition-la-reforme-du-college-prend-ses-marques-la-fcpe-607198
[3] dans ce passage, la répétition se justifie par le contexte de rédaction [2011] où l'on sentait la volonté de faire sortir le plus précocement les élèves en difficulté (avec l'apprentissage junior par exemple). Il faudrait actualiser le propos et inscrire désormais la volonté dans une optique de prolongation de la scolarité obligatoire vers 18 ans, ce qui suppose aussi une adaptation de la structure actuelle du lycée.
[4] le nouveau type de "brevet" qui se profile pour 2017 n'est certes pas le modèle que j'avais à l'esprit en 2011, est-il nécessaire de le préciser ?
[5] car plus la formation initiale est rendue brève et limitée, plus s'impose la nécessité de ladite "formation tout au long de la vie". L'expression n'est par conséquent pas aussi neutre qu'il pourrait y paraître au premier abord.